Muscle ton jeu Robert #1 : Comprendre l'aversion à la perte
Investir c'est une affaire de chiffres mais surtout d'émotions.
Investir c'est une affaire de chiffres mais surtout d'émotions. Muscle ton jeu Robert ce sont des articles qui visent à développer des compétences de préparation mentale utile pour nos investissements. Nous explorerons des phénomènes bien réels qui influencent nos choix et nous éloignent de comportements rationnels. Pour commencer cette série nous allons étudier la gestion psychologique des perte et le phénomène d'aversion à la perte.
Les pertes
Perte : Fait d'être privé momentanément ou définitivement, en partie ou totalement, d'une chose ou d'une qualité dont on avait la jouissance ou la possession. (Définition CNRTL)
Les pertes matérielles impliquent une double peine. Dans un premier temps elles nous apparaissent comme un échec personnel anormal. En effet l'action d'investir s'ancre dans un contexte d'amélioration de nos conditions de vie et de notre santé financière. Les pertes impliquent donc une baisse de notre patrimoine financier à court terme au moins et nous place dans l'inconfort. Cet état de malaise va avoir comme effet de nous sortir momentanément de notre zone de confort. On bascule en terre inconnue, un espace dans lequel notre rationalité va être mise à rude épreuve.
Considérée comme anormale par notre cerveau branché sur le registre de l'émotion, la perte va avoir un impact négatif sur notre estime de soi. C'est notre stratégie qui risque d'être remise en cause et derrière des mécanismes d'auto-accusation s'installent rapidement. Pire que la perte c'est notre représentation de la perte et ses effets néfastes sur notre propre représentation de nous même que nous allons chercher à tout prix à éviter. C'est dans ce contexte que se déploie le mécanisme d'aversion à la perte que nous allons développer.
L’aversion à la perte
Exercice n°1
Je vous propose de miser sur le résultat d'un pile ou face.
Pile, vous gagnez 750 USDC.
Face, vous perdez 500 USDC.
Accepteriez vous de prendre ce pari valable sur un seul tirage et conforme de surcroît à la nouvelle législation MICA (méchant USDT méchant) ?
Deux types extrêmes d'investisseur peuvent se dessiner sur la base de cette décision : le bon père de famille soucieux vs. le degen one life carpe diem.
Il est en moyenne plus fréquent que les investisseurs refusent ce challenge, car intuitivement l’espoir de remporter la mise n'est pas suffisamment important pour compenser la peur d'essuyer cette perte. Le profil bon père de famille accorderait donc plus de poids à la perte potentielle qu'au gain potentiel. On parlera ici donc d'aversion à la perte. Elle s'explique par le fait que perdre nous touche plus fortement que gagner quand il s'agit de montants similaires. De l'autre côté nous avons le degen qui aura davantage tendance à accepter une perte potentiellement plus importante pour un gain plus important :
Lambo or Clio
To the Moon or To the 35h chez McDo
Une des caractéristiques surprenante de l'aversion au risque est de créer dans certains cas un "effet de réflexion" (reflection effect) qui correspond à un renversement du positionnement face au risque engageant le bon père de famille (le profil sujet à l'aversion au risque) à prendre des décisions moins conservatrices.
Exercice n°2
Je vous propose de sélectionner l'option qui vous semble la plus intéressante :
A. Une perte de 2000 € dont le montant ne peut pas changer.
B. Une perte de 3000 € avec une chance de 4/5 et une perte nulle (vous ne perdrez rien) avec une chance de 1/5
Cette exercice a été proposé dans une étude de Kanneman et Tversky a un panel d'investisseur. Près de 92% des sujets ont sélectionné la réponse B. Pourquoi ?
Un individu subissant son aversion à la perte va avoir tendance à prendre des risques accrus pour s'éviter une perte certaine. On quitte la sphère du rationnel car l'option B est bien la moins avantageuse en théorie:
- Dans l'option A la perte est fixe, nous sommes à - 2000 €
- Dans l'option B la perte est espérée, nous sommes à - 2400 € car 0,8 × 3 000 + 0,2 × 0 = 2400
Le résultat est le suivant : Aversion à la perte > Aversion au risque
C'est en partie cet "effet de réflexion" qui pousse les traders à augmenter leur niveau de risque pour essayer d'effacer leurs pertes. Mais il ne s'arrête pas aux simples investisseurs, on retrouve de nombreuses études illustrant ces effets dans des disciplines diverses.
En 2009 une étude menée par Smith et ses collaborateurs ont démontré que les joueurs de poker ayant engrangé un gain conséquent ou une perte importante se retrouvaient confrontés à l'aversion à la perte et à l'effet de réflexion. En effet ils avaient tendance à utiliser des stratégies plus risquées après une perte importante, probablement dans la perspective d'effacer leur perte. Comme quoi savoir se retirer au bon moment c'est sacrément important !
De la même manière nous pouvons nous rappeler certaines grandes affiches sportives, des remontadas spectaculaires où le retard d'un point ou de plusieurs buts a pu déclencher un comportement plus risqué alimenté par la peur de perdre le match. Pas besoin de remonter bien loin, la finale de la Supercoupe d'Italie remportée par le Milan AC sur le score de 3-2 après avoir été mené 2-0 le 06 janvier 2025. L'équipe disposant des deux buts d'avance s'installe dans un certain confort et va avoir tendance à négliger le potentiel retour au score.
Sur les marchés financiers les mécanismes d'aversion à la perte et d'effet de réflexion vont participer à l'établissement d'un effet bien connu des investisseurs : l'effet de disposition.
L'effet de disposition
Introduit par Shefrin et Statman en 1985 il représente la tendance à vendre les actifs gagnants tout en conservant les perdants. On a connu mieux pour faire grossir son bag !
Illustration : Collectionner les tokens comme des cartes Pokémon c'est chouette mais pouvoir TP et investir IRL c'est cool aussi. Imaginez donc que vous avez choisi de vendre une position pour vous offrir un Week end détente avec Madame (qui accepte sans sourciller que vous passiez 3h à écouter deux mecs qui dig des cryptos le samedi soir) ou alors un objet dont vous rêvez depuis des années (par exemple une PS5 ou un Willy Waller 2006).
Vous avez deux possibilités : vendre votre bag du token 1 sur lequel vous êtes en profit ou celui du token B qui est actuellement à un prix inférieur à votre moyenne d'achat. Nous sommes dans une phase de latéralisation depuis plusieurs semaines. Vendre un seul des deux bags suffit à vous offrir ce plaisir matériel. Alors que choisissez vous ?
Dans la majorité des cas nous allons avoir tendance à préférer la première solution car vendre une position gagnante représente un double avantage : nous donner le sentiment d'une victoire sur le marché et nous protéger du sentiment désagréable de vendre à perte. De plus je pourrais facilement me convaincre que le vent va tourner et que cette valeur qui sous performe actuellement va remonter la pente. Vous décidez donc de vendre le token A, un trophée de plus dans l'armoire à trades gagnant. Néanmoins selon toute vraisemblance, le token B continuera à chuter. L'effet de disposition aura donc comme conséquence de réduire nos gains à long terme et nous exposer à davantage de pertes. De plus couper ses pertes plus vite permet d'alléger sa charge fiscale, gagnant gagnant.
Une idée pour lutter contre l'effet de disposition ? Plus nous sommes en capacité de nous détacher émotionnellement de nos positions et de les considérer comme faisant parti d'un tout plus nous allons tendre vers des décisions plus rationnelles. Il va s'agir à présent de nous rappeler que nous ne sommes pas nos investissements et qu'une position à la traîne ne fait pas de nous quelqu'un d'incompétent ou que tout notre plan est à jeter à la poubelle !
Conclusion
L'enjeu principal de ce post était de vous faire réfléchir sur votre rapport à la perte. Cette thématique sera approfondie notamment (SPOILER ALERT) en explorant les phases du deuil appliquées à la logique de l'investisseur. Notre job à présent est d'apprendre à décorréler la performance de notre bag de notre propre estime personnelle et ce faisant d'accepter de couper. Couper les pertes et se focaliser sur les positions gagnantes est une stratégie saine dans nos investissements mais plus largement dans notre vie. Nos projets, nos relations, apprendre à couper plutôt que de subir une situation qui va à l'encontre de ce que l'on souhaite. A bon entendeur ;)
(N'hésitez pas à lâcher vos meilleurs commentaires et questions je me ferais un plaisir d'y répondre)
Source articles :
Kahneman D. et Tversky A. (1979), “Prospect Theory: An Analysis of Decision under Risk”, Econometrica, vol. 47, pp. 263-292.
Shefrin H. et Statman M. [1985], “The Disposition to Sell Winners Too Early and Ride Losers Too Long: Theory and Evidence”, Journal of Finance, vol. 40, pp. 777-790.
Smith G., Levere M. et Kurtzman R. [2009], “Poker Player Behavior After Big Wins and Big Losses”, Management Science, vol. 55, pp. 1547-1555.
Source site :
The Decision Lab. (2023). Effet de disposition - The Decision Lab. The Decision Lab. Retrieved January 10, 2025, from https://thedecisionlab.com/fr/biases/disposition-effect